vendredi 19 septembre 2008

A propos des rêves (partie2)


Jadis, Tchouang Tseu (alias Tchang Tcheou) rêva qu’il était un papillon voltigeant et satisfait de son sort et ignorant qu’il était Tcheou lui-même. Brusquement il s’éveilla et s’aperçut avec étonnement qu’il était Tcheou. Il ne sut plus si c’était Tcheou rêvant qu’il était un papillon, ou un papillon rêvant qu’il était Tcheou. C’est là ce qu’on appelle le changement des êtres.

Après quelques jours d'absence que vous avez évidement mis à profit pour vous exercer à l'observation d'images hypnagogiques, le hibou revient hanter vos nuits avec le post du jour !

Voyons aujourd'hui comment Bergson explique le "mode de fabrication" des rêves.

Où le cerveau puise-t-il les images qui vont venir "habiller" les sensations que lui fournissent les sens pendant le sommeil? Dans la mémoire.

"Souvent, il s'agit d'un détail oublié, d'un souvenir qui paraissait aboli et qui se dissimulait en réalité dans les profondeurs de la mémoire.
Souvent aussi l'image évoquée est celle d'un objet ou d'un fait perçu distraitement, presque inconsciemment pendant la veille. Il y a des fragments de souvenirs brisés que la mémoire ramasse ça et là, et qu'elle présente à la conscience du dormeur sous une forme incohérente.
Devant cet assemblage dépourvu de sens, l'intelligence, (qui continue à raisonner quoi qu'on en ait dit) cherche une signification; elle comble les lacunes en évoquant d'autres souvenirs et ainsi de suite presque indéfiniment.
(...)
A l'état de veille, nous avons bien des souvenirs qui paraissent et disparaissent, réclamant notre attention tour à tour. Mais ces souvenirs se rattachent étroitement à notre situation et à notre action.Car le rôle de la mémoire, chez l'animal, est de lui rappeler, en chaque circonstance, les conséquences avantageuses ou nuisibles qui ont pu suivre des antécédents analogues et de le renseigner ainsi sur ce qu'il doit faire.

Chez l'homme, bien que la mémoire soit moins prisonnière de l'action, elle y adhère encore.
Supposons qu'à un moment donné je me désintéresse de la situation présente, de ce qui concentrait sur un seul point toutes les activités de la mémoire...supposez que je m'endorme...alors tout un tas de souvenirs qui restaient enfouis dans les profondeurs de la conscience vont se mettre en mouvement. Tous ensemble ils courent à la porte qui vient de s'entr'ouvrir.
De cette multitude d'appelés, quels seront les élus? Ceux là seuls qui pourront s'accorder avec la poussière colorée que je perçois, les bruits du dehors et du dedans que j'entends, etc...et qui, de plus, s'harmoniseront avec l'état affectif général que mes impressions organiques composent.
Qaund cette jonction s'opérera entre le souvenir et la sensation, j'aurai un rêve."

Pour Bergson, donc, la naissance du rêve n'a rien de mystérieux.
Nos songes s'élaborent à peu près comme notre vision du monde réel; le mécanisme est le même dans ses grandes lignes.
"Ce que nous voyons d'un objet placé sous nos yeux, ce que nous entendons d'une phrase prononcée à notre oreille est peu de chose, en effet, à côté de ce que notre mémoire y ajoute.
Vous ne percevez de la réalité que quelques éléments, quelques traits caractéristiques; juste ce qu'il faut pour deviner le reste...tout le reste, vous vous figurez le voir mais vous vous en donnez en réalité l'hallucination."

Un ami surnommé "green shoes" dans le milieu chamanique niçois (!) m'a dit un jour que le bon prestidigitateur créait de vraies hallucinations dans le cerveau des spectateurs.
Tout son art consiste à donner au cerveau des bribes de renseignements..entre ces bribes, le prestidigitateur place son "tour de passe-passe", alors que le cerveau lui, comble les vides avec sa logique habituelle..et le tour est joué !

Que ressort-il de tout ceci?
Qu'à l'état de veille, la connaissance que nous prenons d'un objet implique une opération analogue à celle qui s'accomplit en rêve.
Nous n'apercevons de la chose que son ébauche; celle-ci lance un appel au souvenir de la chose complète et c'est cette espèce d'hallucination, insérée dans un cadre réel, que nous nous donnons quand nous voyons les choses.

Mais alors, quelle est la différence entre percevoir et rêver?
Le mécanisme parait être le même dans les 2 cas...pourtant il semble qu'il y ait tout de même une différence...laquelle?
A l'état de veille, le cerveau fournit un effort de traitement considérable pour associer une stimulation sensorielle à une représentation la plus précise possible stockée en mémoire.
Quand on entend un chien aboyer, pour comprendre que c'est un chien qui aboie il faut que nous prenions dans notre mémoire entière, dans toute notre expérience accumulée et que nous arrivions par un resserrement soudain à ne plus présenter au son entendu qu'un seul de ses points, le souvenir qui ressemble le plus à cette sensation et qui peut le mieux l'interpréter.
Cet ajustement ne peut être assuré que par une attention ou plutot une tension simultanée de la sensation et de la mémoire.
C'est précisément cet effort de concentration, d'attention qui est absent pendant le rêve.
Perception, souvenirs et raisonnements peuvent abonder chez le rêveur car l'abondance n'exige pas d'efforts.
Ce qui exige de l'effort, c'est la précision de l'ajustement.

Or, il arrive souvent que nous soyons dans un état de semi-rêve permanent du fait d'un relâchement de notre attention au cours de la journée..ce qui fait que nous nous retrouvons complètement absorbés dans notre monde intérieur et que nous plaçons en arrière plan de notre vie psychique une simulation de la réalité que nous tentons vaguement de reconstruire, trop absorbés que nous sommes par notre état quasi somnambule.

L'attention est la porte étroite qui mène à la Réalité. Hélas cette dernière nous échappe souvent car nous sommes tous plus ou moins victimes d'un manque d'attention chronique...attention envers le monde, attention envers les autres, attention envers nous mêmes.
Finalement nous ne percevons de la réalité que ce que nous projetons sur elle ou ce que nous nous attendons à y voir...

Aujourd'hui je m'apprêtais à faire une petite sieste, histoire de relâcher mes efforts d'attention..il pleuvait...et une fraction de seconde je crois que j'ai "ressenti" la pluie tomber "en direct", sans interprétation...ce choc avec la réalité m'a "surpris" et m'a "réveillé"...mais en fait j'ai eu plutôt l'impression de me rendormir..
Il vous est sûrement déjà, arrivé ce genre d'expérience où tout à coup le terme de "réalité" prend tout son sens, où pendant une fraction de seconde vous avez l'impression de percevoir les choses en direct, où il n'y a plus de frontières entre le dehors et le dedans, entre "je" et "ça".

Piètres rêveurs et mauvais éveillés, nous passons à côté des principaux trésors que peuvent abriter tant la vie diurne que nocturne.

C'est précisément un de ces trésors nocturnes, à savoir le "rêve lucide" et les moyens d'y accéder qui fera l'objet du 3e et dernier post sur les rêves.

Sur ce, il est tard...bonne nuit, et...ouvrez l'Oeil !


PS: Mais alors, la toile d'araignée...elle est "dedans" ou elle est "dehors" ?

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